Jean Jacob Nyobè : ‹‹Njock est l’un des pires traumatismes vécus par nos populations »

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L’auteur du roman Les Tunnels de Njock, sous-titré, ‘canicule, fiel et larmes de sang’, paru aux éditions du Cerdotola, présente sommairement son œuvre dédicacée le 16 mars dernier à la mairie du 6e arrondissement de Paris, en marge de la 3e édition du Salon du livre africain de Paris.

Bmb Infos : 500 pages d’une intrigue construite autour des tunnels de Njock par Eséka au Cameroun. En quoi ce lieu est-il important pour l’auteur que vous êtes ?

Jean Jacob Nyobe: Njock véhicule un grand intérêt pour l’auteur que je suis. C’est d’abord un intérêt historique et mémoriel car c’est l’un des pires traumatismes vécus par nos populations, avec des déportations par dizaines de milliers de jeunes gens arrachés à leur terroir, de toutes les régions du Cameroun, pour creuser des tunnels sous des montagnes granitiques, dans des conditions innommables ou effroyables. Nous sommes là aux sources de l’histoire de la « Rio dos Camaroes » et du Cameroun.

Ce roman dénonce entre autres problèmes les vicissitudes de la colonisation en Afrique. Pourquoi avoir attendu 2023 pour le publier ?

Deux événements m’ont aiguillonné à écrire ce roman. Il y a mes entretiens avec le grand historien, le Pr. Kuma Ndumbe III, germaniste de grande notoriété, avec lequel j’ai eu de longs entretiens sur Njock-Massi, le site apocalyptique où furent décimés des milliers de Camerounais au début du 20ème siècle.

Ensuite, ma rencontre avec le photographe iconique Clément Tjomb de regretté mémoire, avec lequel j’ai organisé une exposition de ses photos sur Njock-Massi au Musée National le 18 mai 2017.  Que faire face au silence assourdissant autour de ce site, face à l’omerta du côté des officiels, des autorités, des hommes politiques qui n’ont jamais évoqué Njock dans leurs discours ? Comment interpréter l’indifférence des chercheurs et des universitaires (aucune recherche, pas de mémoire, pas de thèse) ? Pourquoi aucun monument n’a été érigé, aucune place publique, aucune rue ne porte le nom de Njock ?

Le cri de la longue agonie des martyrs de Njock nous parvient encore et nous interpelle. Il a fallu exhumer cette tragédie nauséabonde du 20ème siècle, pour une catharsis collective.

Mis à part le déni d’humanité des Africains par les Occidentaux que vous y décriez, quel est l’intérêt de cet ouvrage ?

Le roman nous restitue un message anthropologique et culturel par l’évocation des aspects et activités culturelles des peuples de la forêt, et de l’unité culturelle des sociétés lignagères et polysegmentaires, régies par la loi de l’exogamie clanique.

On y trouve des points identitaires tels que la relation avunculaire entre le neveu et son oncle, et la parenté à plaisanterie entre des communautés, des classes d’âge ou des professions.

L’ouvrage met aussi en lumière les danses patrimoniales, les soins traditionnels, ou le travail d’équipe et en toute solidarité dans nos communautés traditionnelles. Enfin, il y a un intérêt politique, du fait que Njock est un point d’ancrage et d’unanimité de toutes les ethnies du Cameroun qui y ont laissé un lourd tribut, face à la prédation internationale.

Le pacte qui liait les forçats, pour un destin solidaire, en témoigne largement. Ces gens destinés à une mort violente et qui venaient des montagnes, de la côte, du Sahel et de la forêt n’ont pu tenir que parce qu’ils se sentaient un destin solidaire.

Sur le plan économique, rien n’a changé depuis Njock. Le pillage effréné des matières premières perdure, avec dorénavant, la corruption et la distraction des ressources publiques au détriment de l’intérêt général.

Peut-on aussi imaginer prochainement un ouvrage sur Ngog Lituba, haut lieu culturel des Bassa-Mpo’o-Bati ?

Il s’agit-là d’une autre problématique liée à la sociogenèse des Bassa-Mpo’o-Bati. Il appartient aux historiens et aux anthropologues d’éclairer les générations actuelles et futures sur ce site mythique.

Certes, Njock a une connotation mémorielle et patrimoniale, mais mon œuvre est avant tout un roman historique, une docu-fiction autour de l’histoire romanesque et tragique de Bakoa du village Ndog Soul de Môm, et de sa fatale et sémillante épouse, Sondi, du village Ndog Sén de Minka. Ils sont en conflit avec le chef du village Nolla, qui veut brader les terres ancestrales au profit des exploitants forestiers envoyés par le chef de subdivision à Makak, et contre le Rév. Pasteur Helmut de la nouvelle église protestante, tourmenté par le désir qu’il entretient à l’égard de Sondi, qui refuse d’intégrer l’association chrétienne des femmes, à la portée de Helmut. Un complot entre Nolla et Helmut se solde par la déportation du jeune héros. Sondi refuse de se morfondre sur place et va à la recherche de son époux, vers Eséka à Njock. Elle échouera entre les griffes de Herr Gunther, le chef des ingénieurs allemands.

Un personnage rugueux, cruel, dangereux, sanguinaire et plus souvent perfide. Que deviendront Sondi qui vient de repousser Herr Gunther et Bakoa dont le destin semble scellé après le duel à mort dont il sort vainqueur ?

Poursuivis par des gardes farouches et une meute de chiens dévoreurs de chair humaine, les deux fugitifs parviendront-ils à traverser la périlleuse rivière Lissaye, infestée de crocodiles, de serpents et de scolopendres ? Rien n’est moins sûr.  Si mon roman peut susciter des vocations pour la recherche ou pour un élan patriotique, tant mieux. Mais c’est d’abord et avant tout, une œuvre de fiction adossée à des faits historiques, certes !

Contre toute attente le roman se termine par la volonté d’apaisement et de réconciliation de Bakoa.

Il faut se souvenir qu’avant sa disparition, Penda le père de Bakoa lui avait enseigné qu’un homme avait pour frère un autre homme. Il ne fallait jamais verser impunément du sang humain. C’est ce qui explique qu’il épargne la vie de Herr Gunther pourtant vaincu à l’issue d’un duel homérique, et à sa merci. Il lui propose un pacte de non-agression pour une relation nouvelle et mutuellement bénéfique. Mais Gunther ne tiendra pas parole et lancera ses gardes à la poursuite du couple en fuite. Devant ses frères, les « Fils de son père » tel qu’il les appelle affectueusement, et qui veulent en découdre avec les Allemands par une révolte populaire et sanglante, Bakoa préconise la retenue, car il ne faut pas tout rejeter du grand peuple allemand dont l’école, les infrastructures et la médecine sont très appréciables. Naïveté, candeur ? Bakoa est persuadé qu’un autre monde est possible, entre des cultures qui se complètent. Faut-il peut-être y percevoir des relents de cet humanisme négro-africain qui nous distingue des peuples épris de guerre et de violence et qui mettent en péril l’avenir de l’humanité.

Votre livre est publié au moment où la commission mémorielle sur l’histoire coloniale du Cameroun est en pleine activité avec la bénédiction de la France. Quelles sont vos attentes par rapport à ce travail de mémoire en cours simultanément au Cameroun et en France.

Il est heureux que cette commission fasse ce dépoussiérage de l’histoire de notre pays, afin de donner à nos compatriotes et à nos enfants des repères pour mieux affronter les épreuves de leur avenir. Tant de choses ont été longtemps occultées, plongeant les uns et les autres dans la nuit noire de l’ignorance de leur identité. Ailleurs, c’est l’histoire commune, rarement joyeuse, plus souvent cruelle, atroce et sanguinaire, qui a forgé un destin commun entre des peuples initialement hétéroclites, mais devenus une nation.

En France où je vis et enseigne les valeurs de la République et la laïcité dans les communes et auprès des associations, il ressort clairement que la république des Lumières, de la laïcité et des droits de l’homme n’est pas tombée du ciel. Elle est le fruit de longs combats parfois douloureux dont le peuple est fier, depuis Clovis et Charlemagne, en passant par la révolution sanglante de 1789, la signature du Concordat, les lois scolaires de Jules Ferry, la loi des séparatismes du 9 décembre 1905, etc… Je me réjouis de cette initiative du président Macron qui porte tant d’espoirs de nos compatriotes. Cependant, mon aspiration intime et modeste est d’écrire des romans, susceptibles d’inspirer peut-être des hommes d’action, mais avant tout, qui demeurent des œuvres de l’esprit, de purs produits d’une fiction florissante.

Propos recueillis par Jésus POUTH

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